Petite Histoire du Collège du Mansourah

Etienne DuvalPremières approches
En 1947, un prêtre, encore jeune de 42 ans, du diocèse d’Annecy, Léon Étienne Duval, fut nommé évêque de Constantine. Pour assurer le recrutement de son clergé et la formation chrétienne des jeunes garçons, il lança l’idée d’un collège-petit-séminaire à Constantine même. Il existait bien, sur son territoire, à Bône (aujourd’hui Annaba), un collège tenu par les Père Assomptionnistes, mais on pouvait songer à le dédoubler. Pour ce faire il quêta auprès des colons de son diocèse, obtint l’argent voulu, acheta un terrain à Sidi Mabrouk sur le Plateau du Mansourah et commença à construire des bâtiments. Le collège était destiné principalement à la population européenne. Comme à Bône, on y admettrait aussi des algériens voulant profiter d’une bonne formation morale tout en gardant leur propre religion. On lui donna de suite le nom de Collège Charles de Foucauld qui a été conservé dans un certain nombre de documents. Les plans étaient assez grandioses, ils prévoyaient par exemple une chapelle, avec un grand clocher. Quatre bâtiments furent construits, ceux que nous avons connus. Trois étaient achevés en 1954 au moment de la guerre d’Algérie : les deux avec dortoir et, au centre, le bâtiment économique. On commença à ouvrir quelques classes en 1952 ou 53.

En 1949 Monseigneur Duval avait fait venir d’Annecy, son diocèse d’origine, un jeune prêtre, l’abbé Fernand Tochon, diplômé d’état (licence de lettres). C’est lui qui fut nommé directeur.

Le temps de la guerre d’Algérie
College du Mansourah En 1954, Monseigneur Duval fut nommé archevêque d’Alger et fut remplacé par Monseigneur Pinier. Celui-ci aurait bien voulu continuer l’œuvre de son prédécesseur, mais, quand survint la guerre, l’armée française réquisitionna les lieux et tout fut stoppé : le bâtiment administratif, le premier en entrant, resta inachevé.
L’armée s’y installa avec ses divers services, dont une compagnie de CRS (Compagnie Républicaine de Sécurité) et, sur le toit du bâtiment central, une plateforme pour hélicoptères.
Dès 1960, faisant preuve d’une audace et d’une confiance digne d’éloge, comprenant que l’Algérie allait être indépendante, mais pensant que la population française allait rester, Monseigneur Pinier prit les devants pour pouvoir récupérer les bâtiments et relancer l’idée du collège. Pour ce faire il fit appel aux Pères Blancs qui acceptèrent de prendre en charge cet établissement. Il fit appel à eux parce qu’ils avaient l’expérience de faire coexister dans leurs collèges garçons chrétiens et musulmans, comme à Aïn Sefra.

Jean Godart Ils rappelèrent de Rayak, au Liban, où il enseignait dans un collège-petit-séminaire destiné à la formation du clergé grec-melkite, le Père Jean Godart. Le choix du Père Godart n’était pas le fait du hasard, d’abord il avait des diplômes, il avait fait des études de psychologie à Alger, et, étant de nationalité belge, il était plus neutre qu’un français et on et donc plus à même de discuter avec les futures autorités algériennes. C’est ainsi qu’il arriva à Alger durant l’été 1960 et de là gagna Constantine.

À Constantine, il s’installa rue Fromentin, tout près du fort de la Casbah dans un petit appartement de l’évêché. De là il fit plusieurs voyages à Paris pour obtenir la récupération des bâtiments du collège avant le départ de l’armée française pour éviter que l’ALN ne s’y installe en force, prétextant que c’était un bâtiment militaire. Pour ce faire il rencontra à Paris Monsieur Mesmer, alors ministre de la guerre. Dans le même immeuble de la rue Fromentin habitait un jeune homme, Roger Garcia qui s’occupait des services sociaux de l’évêché qu’on appelle la Caritas (nom d’origine grecque qui signifie Amour et Charité). Les deux hommes lièrent amitié. Par exemple, quand le Père Godart acheta la Dauphine bleue que beaucoup ont connue, ils allèrent passer leur permis ensemble et Roger fit souvent le chauffeur. Roger était fiancé à une jeune fille, Claire-Marie Loire, sœur d’un Père Blanc, qui était venue en coopération, appelée par les Sœurs Blanches, comme monitrice d’enseignement ménager pour la formation des femmes algériennes. Le Père Godart leur proposa de les embaucher pour lancer ce futur collège. Ils se marièrent et travaillèrent à Alger pour le compte du diocèse du Sahara en attendant qu’arrivent l’indépendance et la possibilité d’ouvrir le collège.

L’année 1961 fut très dure à cause de l’OAS qui semait la terreur. Le résultat fut le départ précipité de la population d’origine européenne à partir de juillet 1962. Mais la détermination d’ouvrir le collège ne faiblit pas car il était destiné tout autant à la population algérienne qu’européenne selon l’esprit des Pères Blancs.

L’installation et l’ouverture 1 ere reunion au college du Mansourah
Après le 5 juillet, le Père Godart alla chercher Roger Garcia à Alger. Soudain le pays était devenu très calme et, sans encombre, ils gagnèrent Constantine en traversant la Kabylie. Le Père Godart engagea comme factotum et chauffeur, Saïd Ounissi, un ancien de l’ALN qui avait combattu sur la frontière tunisienne. Le site du futur collège n’était que paquetages, planches et toute sorte d’objets destinés à être brûlés ou largués en mer, car l’armée française pliait bagage. Après négociations avec le général qui commandait la place et qui habitait le camp Frey mitoyen, ils purent récupérer tout ce qui était intéressant pour équiper le futur collège : bureaux, lits individuels, contre-plaqués, armoires, couvertures… L’armée voulait aussi démonter et emporter les deux baraques Fillod qui étaient sur la droite en entrant, mais ils n’eurent pas le temps de faire le travail et après pourparler ils nous les laissèrent. L’une d’elles est toujours là et sert de salle de sport les jours de pluie ou de salle de jeu.

Constantine- le College du Mansourah Le bâtiment central avait été libéré en premier et c’est là que le Père Godart et Roger Garcia s’installèrent. Une magnifique cuisine fut achetée et un cuisinier, Kaddour, engagé, avec deux aides, dont Ferhat que nous avons tous connu. Il fallait repeindre et mettre en état toutes les chambres des futurs professeurs, les équiper avec le matériel récupéré et se débarrasser des punaises qu’on amenait avec les matelas provenant du camp d’à côté. Ce fut le travail de tout l’été.



Jean Maksud et Roger Garcia À ce moment arriva le Père Jean Maksud. ( Le Père Maksud porte un nom arabe, car son grand père, chrétien libanais d’Égypte, avait émigré en France après la guerre de 1914 et y avait fait souche) Après avoir enseigné un certain temps à Rayak avec le Père Godart, il avait été envoyé faire de l’arabe à la maison d’étude des Pères Blancs à la Manouba, dans la banlieue de Tunis. Le Père Godart alla le chercher à Philippeville (aujourd’hui Skikda).

 

 



College du Mansourah en construction Une fois arrivé, le Père Maksud ouvrit une permanence au rez-de-chaussée du bâtiment central pour recueillir les inscriptions. Ceux qui se présentèrent étaient pratiquement tous français, fils de militaires ou de fonctionnaires. On commença les cours avec probablement deux petites classes seulement et comme enseignantes Florence Leblond, femme du secrétaire du général, et Mademoiselle Lucile Lantenois, coopérante laïque venue travailler pour le service de la Caritas de Constantine. Le Père Maksud remplissait le rôle de Censeur des Études et de Surveillant Général, le Père Godart s’occupant de la direction et des relations extérieures, Roger Garcia de l’économat.



College du Mansourah en construction
S’occuper de l’économat n’était pas une mince affaire, car on partait de presque rien. On devait restaurer les salles pour en faire des classes et des dortoirs puis tout installer. La veille de l’ouverture, on se trouvait parfois sans table ni chaises et il fallait recevoir les élèves le lendemain ; de même pour accueillir les pensionnaires, le jour même de leur arrivée on n’avait pas encore de quoi les faire dormir, d’ici le soir il fallait trouver tout le nécessaire.

 


College du Mansourah en construction Un entrepreneur, Monsieur Alexandra, avait été chargé des travaux de construction et un chauffagiste, Monsieur Mazon, d’installer une chaudière et le chauffage central. Alexandra travailla pendant deux ans environ pour achever le premier bâtiment et mettre tout l’ensemble du collège en état. Quand les deux appartements au dessus des communs de la cuisine furent prêts, les ménages Garcia et Leblond s’y installèrent. Claire-Marie, la femme de Roger était arrivée au mois de septembre avec leur premier enfant.



College du Mansourah en construction Dans le premier bâtiment, une fois terminé, on installa au rez-de-chaussée l’administration : le bureau du directeur, celui de l’économe, le bureau d’accueil, quelques salles de classe, le parloir… Au premier étage, les Garcia prirent l’un des deux appartements aménagés et les Poily l’autre. André Poily était professeur d’anglais et sa femme, Denise, comptable. Il y avait encore à cet étage une grande salle qui deviendra plus tard un laboratoire, plus une chapelle pour les Pères. Quant au Père Godart, il prit l’appartement laissé libre par les Garcia au dessus de la réserve des cuisines.


Bus scolaire du Mansourah de ConstantineLe collège avait aussi acquis un car pour le transport des élèves, car Sidi Mabrouk, et a fortiori le plateau du Mansourah, sont très éloignés du centre ville de Constantine, environ 6 kilomètres, et, qui plus est, il y a une bonne côte pour y accéder. Le car avait été acheté pour un bon prix à un voyagiste qui n’avait pas obtenu l’autorisation de faire rouler tous ses cars pour le voyage de La Mecque. Il nous l’avait vendu bon marché, mais le car n’était pas en bon état et tombait souvent en panne. Saïd Ounissi était le chauffeur, Roger Garcia ou le Père Maksud, des accompagnateurs. Le car a dû rouler deux ou trois ans, jusqu’à ce qu’on fasse appel à un transporteur qui assurait le service de ramassage à l’aide de ses propres véhicules.

Salles de sport du college du MansourahMais au mois de décembre 1962, le collège se trouva vidé de la plupart de ses élèves. En effet la France avait rappelé tous ses militaires et ses fonctionnaires et la plupart des enfants étaient partis. Le Père Godart et Jean Maksud décidèrent de faire un deuxième recrutement destiné surtout aux algériens. Le Père Maksud ouvrit une permanence dans un bureau de l’évêché au quartier Saint Jean pour recueillir les inscriptions. La publicité se faisait de bouche à oreille. Vers le mois de janvier se fit la deuxième ouverture avec quatre petites classes : CM 1 (8ème), CM 2 (7ème), 6ème et 5ème. Par la suite chaque année, on ouvrait deux classes supplémentaires, une au dessus et une en dessous, ainsi en 1963-64 on ouvrit une 4ème et un CE 2 (9ème) en plus des autres classes. Ce rythme devait se poursuivre jusqu’à ce que l’éventail des classes soit complet du CE 1 (ou 10ème) jusqu’aux terminales, il fut atteint en 1967-68.

Entrée du College du MansourahPour le recrutement des professeurs, le Père Godart fit appel à la coopération française, militaire ou civile. En effet il y avait très peu d’enseignants algériens sur le marché du travail et ils étaient pris par l’éducation nationale. D’autre part, malgré toutes les idées optimistes sur la situation, le collège restait une entreprise assez précaire et donc il était difficile d’assurer à un enseignant algérien une carrière définitive dans les école tenues par l’Église. Il fallait donc faire appel à des enseignants étrangers, en majorité français, mais aussi belges, car le Père Godart, étant belge de nationalité, avait des facilités pour faire venir de là-bas des professeurs.


Eleves du Mansourah Les coopérants militaires étaient très intéressants, car ils avaient le droit d’éviter le service militaire à condition de partir en coopération hors de France. Ils devaient être logés-nourris, et toucher un petit pécule très modique semblable à celui de leurs camarades sous les drapeaux. Après 18 mois ils touchaient le petit salaire que le service de l’enseignement diocésain prévoyait pour ses employés. C’était loin d’être le Pérou, mais ils acceptaient généreusement la situation par esprit de service.

Fete du Liban au College du mansourah Souvent ces coopérants n’étaient pas des enseignants de métier, ils avaient des diplômes d’ingénieur ou de toute autre branche, mais ils compensaient leur inexpérience par leur dévouement et leur conscience professionnelle. En effet les coopérants diplômés étaient accaparés par les grands lycées d’état. On peut s’étonner qu’avec de si petits moyens on ait réussi à faire du bon travail et parfois à concurrencer les grands lycées. Mais c’était sans compter sur le sens du service, la conscience professionnelle et l’amour de leurs élèves qu’avaient ces hommes et ces femmes, leurs épouses. Cette remarque est déjà le début de l’explication de ce qui allait être l’Esprit du Mansourah qui allait tant marquer tous les élèves.

Pour l’enseignement de l’arabe, le Père Godart fit appel à ses anciens élèves de Rayak. Arrivèrent ainsi, petit à petit, Fayez Adas, Mounir Kabban, puis les autres frères Hana et Salem Adas et ensuite leurs épouses. C’est ainsi que le collège eut dès le départ un enseignement de qualité pour la langue arabe.Tous les anciens leur gardent une grande reconnaissance pour leur avoir fait connaître et aimer cette langue et leur avoir fait éviter l’obscurantisme et le fanatisme.

Paul Marioge et Roger Garcia

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mansourah Constantine

© D.M. Chetti - 2003