Ce matin là, trois jours avant les congés de Noël, un observateur étranger au collège aurait eu des inquiétudes sur les intentions de quelques élèves en voyant une bonne trentaine de pensionnaires des classes de 2de et 1ere se diriger d'un pas pesant, à 4 h du matin, dans une obscurité assez profonde, vers certains angles du bâtiment.
S’agirait il d'une tentative hardie et matinale de quelques "contestataires" de la nourriture saine et abondante généreusement distribuée au collège, pour prendre d’assaut les cuisines et préparer pour les camarades la surprise qui hante les nuits de tout pensionnaire : un voluptueux petit- déjeuner ? " Café crème, croissant chaud " servi au lit ?
Hélas non ! Ces ombres indécises ont un but plus égoïste : elles cherchent l'eau purificatrice qui fait totalement défaut au niveau des lavabos du dortoir.
Mais à pareille heure ? ...C'est que le car prévu pour l'excursion de fin de trimestre doit partir à 4h30 vers le sud.
Il roule un effet, un peu plus tard, chargé de ses 50 explorateurs, sur la route de Batna…Les estomacs vides reçoivent une cargaison de pain et de chocolat et les esprits s'éveillent lentement.
Le soleil se lève enfin au milieu des discussions et des chants rythmés et joyeux. La capitale des Aurès, à 120 km de Constantine, est atteinte sans encombre, et le vent glacé qui souffle nous chasse aussitôt vers des régions plus clémentes.
Saluant au passage les ruines de Lambèse, le car sur la petite route sinueuse et étroite qui nous mène par des lacets abrupts à près de 1700 m.
Il ne fait pas très chaud à l'extérieur et, à mesure que notre véhicule grimpe péniblement, la neige multiplie ses points blancs sur la montagne : cet effort trouve sa récompense dans la beauté du paysage que nous traversons en redescendant vers l'oued El Abiod.La traversée de quelques ponts exige toute l'adresse du chauffeur, mais nous passons, et nos yeux ne se lassent pas de suivre les petits villages blottis à flanc de colline et éparpillés le long de l’Oued.
Arris nous permet bientôt de dérouiller des jambes taquinées d’innombrables fourmis, et nous offre le réconfort d'un café brûlant. Nous plongeons ensuite vers les gorges de Tighanimine pour y apercevoir les premières palmeraies, et, après celles de Tifellel, nous atteignons le premier but de l'excursion : les gorges de Roufi qui offrent à nos yeux éblouis ses à pics impressionnants.
Du haut des balcons, le ruban de l’oued déroule son fil d'argent étincelant sous le soleil, au milieu des grosses taches vertes de la végétation. La fraîcheur des abris que nous y soupçonnons est elle assez puissante pour nous attirer irrésistiblement ?
Toujours est il que, quelques instants plus tard, un groupe joyeux dévale allègrement les pentes rudes par un sentier qui serpente entre les blocs de maisons récemment abandonnées et tout étonnées d'une pareille animation.Notre intuition ne nous avait pas trompés : les rives de l'oued recèlent quantité de palmiers verdoyants et d'orangers tachetés de fruits trop appétissants pour ne pas tenter quelques aventuriers.
Au fond de ces gorges imposantes, nous nous sentons bien petits et bien loin aussi de tous nos soucis quotidiens. Cet endroit paradisiaque, véritable oasis au milieu d'une terre plutôt ingrate, nous faît envier quelques instants les habitants du Roufi ; et c'est sans aucune hâte que nous regagnons les hauteurs et le car qui nous attend.
Après un dernier regard à ce site grandiose, nous repartons vers le sud, côtoyant toujours les gorges profondes. Nous dépassons Baniane et ses environs à l’aspect lunaire et insolite dont l'étrangeté surprend et inquiète à la fois, pour atteindre enfin BISKRA , notre ultime étape.
Il est déjà plus de midi, et certaine partie de nos individus éprouve quelque amertume à se voir délaissée. Une agréable palmeraie, située à la périphérie de la ville, accueille donc la cinquantaine d'estomacs peu disposés à patienter. Les groupes se forment rapidement, adossés aux arbres. Les externes déballent des trésors dus à la prévoyance familiale. Mais que réserve donc la cuisine communautaire du Collège aux pensionnaires un peu inquiets ?
L'incertitude ne dure guère et les yeux, toujours plus gros que les ventres dans de pareils cas, brillent bientôt d'une profonde satisfaction devant les poulets rôtis et luisants à souhait qui constituent l'apothéose d'un menu unanimement apprécié.
Les ventres remplis, il s'agit maintenant de meubler les esprits. Nous nous présentons donc à l'usine de conditionnement et d’expédition de dattes : il s'agit de I’industrialisation récente d'un commerce traditionnel et ancestral de Biskra.
Ici, les machines et la chimie assurent aux produits locaux une qualité et une renommée vraiment internationales. Nous suivons des yeux et des mains la « chaîne » qui conduit de la simple confection des emballages à l’empaquetage final, en passant par le contrôle rigoureux de la teneur en sucre et le stade de l'humidification de la datte pour lui donner ce bel aspect qui, à lui seul, vous met l’eau à la bouche. Les yeux et les oreilles s’emplissent, certes, mais les estomacs n’ont pas davantage à se plaindre, et il est possible que, ce jour là, le rendement de l'usine ait quelque peu faibli.
Pendant qu'une partie du groupe visite l’usine, l'autre, en patientant, s’est trouvé une occupation : IL s’agit de maintenir la réputation du football constantinois face à une équipe locale qui doit finalement s’avouer vaincue, malgré une belle défense.
Les corps sont en sueur et les vêtements un peu gris, mais l’esprit est dispos et prêt sa manne.
Cependant, la journée s’achève : les jours sont courts en cette saison, et c’est à la nuit tombante que les élèves profitent d’une heure de loisirs pour prendre contact avec les cafés des artères principales de la ville.Il nous faut ensuite quitter la « douceur angevine » de BISKRA pour rejoindre la « froide haleine » de CONSTANTINE.
Le retour s’effectue sans encombre, dans une atmosphère de Kermesse : prés de trois heures de car, ponctuées par les éclats d’un tourne-disque portatif à piles, les exclamations bruyantes des joueurs de cartes, les discussions véhémentes de politiciens ou d’économistes en herbe, ou le rythme de rude chansons de l’est algérien accentué par des battements de mains et de trépignements de pieds.Le car largue peu a peu sa cargaison d’externes dans Constantine et une heure plus tard, un lourd sommeil recouvre les corps fatigués et les esprits insatiables peuplés de rêves prémonitoires qui transportent leurs auteurs du côté du DJEBEL OUNK, prés de l’usine de traitement des Phosphates de Bir El Ater, par exemple.
Mais pourquoi ne serait-ce qu'un rêve ?
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