Le samedi 21 mars, à l'aube, ou presque (il n'est guère que 10 h!), une caravane lourdement chargée s'ébranle avec ardeur vers le Sud. Elle emmène avec elle, dans une 4 L et une 3 CV, la fine fleur intellectuelle et spirituelle du Collège : un Père Blanc, un islamologue (la raison de leur présence est évidente pour qui a sillonné quelque peu les régions désertiques, si l'on excepte les carcasses de pneus et de chameaux, qui séparent Constantine de Tamanrasset), un mathématicien pour compter les cailloux, un géographe pour les photographier, un littéraire pour en parler.

Une expédition montée dans ces conditions est vouée à l'échec s'il lui marque un élément indispensable sur le double plan esthétique et utilitaire : tout le monde a compris que nous avions avec nous une ambassadrice du charme et de la cuisine françaises. Nous n'aurions pas pu nous en passer et nous avons préféré sacrifier quelques objets essentiels, du moins selon le guide du ministère du tourisme, tels que suspentes de parachute, bombes fumigènes bicolores, épingles à nourrice etc.

Le lundi midi, après Biskra, Touggourt, Ouargla, El Goléa, nous atteignons la "Piste Impériale du Hoggar", cette chère piste que nous ne quitterons plus pendant 2 400 Km.

Le premier contact est assez rude : nous abordons le terrain avec toute la circonspection qui convient à des néophytes. C'est ainsi que la l ère heure nous voit franchir allègrement 18 Km ! A ce rythme, il faudrait compter 133 heures de route soit 13 jours de voyage ininterrompu.

Notre pied prend donc un appui plus ferme sur l'accélérateur et …les deux voitures crèvent simultanément (ce mauvais début n'eut pas de suite ; la 4 L ne crèvera qu'une fois sur les 4 500 Km du voyage, et la 3 CV, 5 fois. Nous en avons rencontré qui en étaient à leur 17ème crevaison et n'avaient pas encore atteint le but !)

Il s'agit de Passer le Plateau de Tademaït, vaste étendue désolée, sans autre relief qu'une multitude de cailloux calcinés par le soleil. Tout le « paysage » ( ?) est noyé dans une sorte de " brume sèche " qui diminue beaucoup la visibilité et nous poursuivra jusqu'à notre départ de Tamanrasset. La poussière envahit tout, et pénètre même à l'intérieur de la 3 CV par les pédales, à travers le plancher.
Ces quelques 250 Km nous prennent une journée complète; ce sont peut-être les plus éprouvants du voyage, car nous avons eu le tort, de suivre la piste centrale, dont les cailloux, meurtriers pour les pneus et la tôle ondulée, éprouvante pour la suspension et les passagers, constituent une hantise pour les conducteurs.

C'est ensuite la descente sur Aïn Salah, au fond d'une cuvette, dont l'architecture plus « malienne » qu'arabe, ne fait pas oublier l'atmosphère étouffante. La bière fraîche de l'hôtel n'est pas la moindre raison de notre peu de hâte à reprendre la piste, d'autant plus que nous n'aurons pas l'occasion d'en boire beaucoup d'autres tout au long des 700 Km de désert qui nous séparent encore de Tamanrasset. Les puits de Tadjemout, illieniet, In Ariguel, et leur eau saumâtre ou magnésienne seront sans doute appréciés, mais comment les comparer à une « 33 Spéciale »?

Les pleins d'eau (40 litres de réserve - c'est assez peu pour 6 personnes même si la toilette du matin ne risque pas de l'entamer sérieusement) et d'essence (150 L. au total dont 90 dans les jerrycans) étant faits. La danse du désert reprend : coup de volent brutal pour éviter une pierre qui se précipite sous la roue gauche et c'est la droite qu'il « encaisse », virage en dérapage sur le sable lorsque le conducteur tente avec succès, souvent, d'éviter un débordement de l'arrière de la voiture sur l'avant, coup de frein « in extremis » devant un trou qui semble attendre avec un air vorace quelque amortisseur à engloutir ... Ceci pendant près de 10 jours, à raison de 10 heures par jour.

Enfin, le jeudi midi, voici Tamanrasset et une agréable surprise : c'est la fête.

Le Mali et le Niger, pays voisins ou presque, ont envoyé des troupes folkloriques. Les Touaregs sont descendus de leurs montagnes sur leurs véhicules hautains, les villes de Djanet et d’Ain Salah ont délégué leurs représentants.
Une aubaine pour nous : L'harmonie des couleurs, le bleu des vêtements, le noir des visages, le blanc des chameaux, les discussions s’ajoutant à la cacophonie des coups de feu des fantasias, du rythme des tam-tams, et des invocations religieuses.

Nous consacrons une journée à l’Assekrem, dont les pentes rudes valent aux pauvres passagers des deux voitures des fatigues supplémentaires. On a le souffle court, quand il faut pousser 3/4 de tonne, à près de 5 000 m d'altitude. Nous arrivons de nuit à l'ermitage du Père de Foucauld et, profitant de l'aimable bienveillance des Frères Jean-Marie et Riquer qui ont choisi cette vie rude au milieu de leurs Touaregs, nous y passons la nuit. Nous assistons vers 5h30 h, au lever du soleil sur la forêt de pics qui hérissent le paysage environnant, spectacle irréel que ce soleil pâle montant à travers la « brume sèche », au-dessus d'un relief étrangement tourmenté, au rythme d'un texte de Teilhard de Chardin, que nos oreilles, encore ensablées par le sommeil, perçoivent comme dans un léger brouillard. Irréel, mais inoubliable.

C'est à regret que nous quittons ce « bout du monde » pour regagner Tamanrasset 1ere étape de notre retour vers le monde civilisé : les élèves et leurs copies.

Quelques ennuis du côté d'un bouchon de carter retardent notre départ vers le Tropique du ancer et les Gorges sauvages d'Arak ; nous apprenons à In Salah que la région mérite 8 jours de halte. C'est tentant mais ...

A nouveau l'infernal Tademaït absorbe notre attention pourtant les pistes latérales sont un boulevard à côté de la piste centrale. Comme nous regrettons notre prudence première, à l'aller. Le moteur de la 4 L chauffe un peu mais rien ne peut nous arrêter, si ce n'est l'apparition du goudron à 80 Km d'El Goléa pour la photo finale des héros : 6 visages hirsutes et malodorants, 6 corps avachis contre deux voitures qui semblent bien contentes d'accrocher leurs roues avant sur le bitume quand celles de l'arrière souffrent encore sur la piste. C'est, quoique à plus de 1000 Km de Constantine, la fin d'une belle randonnée qui ressemble encore un peu à une expédition, mais pour combien de temps encore ?
Pressez-vous, sinon le goudron sera à Tamanrasset avant vous.

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L'équipe était composée de Bernard BOMPAS, Père MARIOGE, Lazhar SIAD, Marie-Thérèse et Bernard THIBAULT et Daniel HALLOT (auteur de cet article).

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Mansourah Constantine

© D.M. Chetti - 2003